Réemploi et recyclage ou quand les matériaux du bâtiment participent à la transition énergétique pour la croissance verte et entrent dans la boucle de l’économie circulaire.
Un objectif national : réduire les déchets dans le BTP et leur empreinte carbone
Le monde du BTP génère 250 millions de tonnes de déchets par an, soit 70 % de tous les déchets produits en France. 50% échappent à toute valorisation (réemploi, réutilisation, recyclage). Lorsqu’ils sont éliminés en décharge, ces déchets occupent des sols qui pourraient être mieux utilisés. L’essentiel des déchets du BTP est minéral et inerte (briques, béton, tuiles et céramiques, verre, terre, pierres et cailloux provenant de sites non pollués). Ce type de déchets ne présente pas de risque de pollution et est un gisement potentiel de matières premières à valoriser. L’utilisation de cette matière permet d’économiser des ressources épuisables issues des carrières et de limiter les impacts environnementaux qui y sont liés.
L’article 70 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (N° 2015-992 du 17 août 2015) précise que la politique nationale de prévention et de gestion des déchets est un levier essentiel de la transition vers une économie circulaire, et que l’un de ses objectifs est de valoriser sous forme de matière 70% des déchets du secteur du bâtiment et des travaux publics en 2020.
Des textes fondateurs
Le législateur a prévu tout un arsenal de textes pour définir les attentes de la France. Le Code de l’Environnement (article L541-1-1) qui donne dès 2010 la définition des matériaux (substances, matières ou produits) de déconstruction suivant leurs différentes finalités (déchet, réemploi, réutilisation pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus, sans passer par l’état transitoire de déchet), réutilisation, recyclage (opération de valorisation non énergétique des déchets), les opérations de gestion des déchets, de préparation en vue de la réutilisation, de valorisation et enfin d’élimination.
Le Code de la Construction et de l’Habitation (Article R111-43 et suivants) qui impose dès 2012 aux maîtres d’ouvrage que la plupart des démolitions de bâtiment (par exemple ceux d’une SHON supérieure à 1 000 m²) de faire établir un diagnostic préalable portant sur les déchets issus de ces travaux, par un professionnel de la construction, indépendant et assuré pour ce type de mission, à la suite d’un repérage sur site.
Ce diagnostic fournit également les indications (estimation de la nature et de la quantité des matériaux) sur les possibilités de réemploi sur le site de l’opération et à défaut de réemploi sur le site, les indications sur les filières de gestion des déchets issus de la démolition (destinés à être valorisés ou éliminés). À l’issue des travaux de démolition, le maître d’ouvrage est tenu de dresser un formulaire de récolement (nature et quantités) relatif aux matériaux réemployés sur le site ou destinés à l’être et aux déchets issus de cette démolition, qu’il transmet à l’ADEME.
La LOI ELAN de 2018 annonce un décret qui définira la quantité de matériaux issus de ressources renouvelables ou du recyclage qui leur sont incorporés dans les produits de construction et équipements
L’Ordonnance ESSOC II du 29 janvier 2020 qui entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2021 généralisera, en l’intégrant au droit commun, cette démarche d’innovation, qui n’était jusqu’à maintenant qu’expérimentale.
Comment les acteurs de la Construction ont commencé à répondre à ces nouvelles obligations ?
L’association CIRCOLAB crée des contrats-type entre opérations de déconstruction et de construction. Le CSTB travaille sur des guides méthodologiques qui permettront de caractériser la performance résiduelle des matériaux de construction.
Des ateliers se sont créés, notamment au sein de la Fondation Bâtiment Energie qui traitent de l’Economie Circulaire des Bâtiments, auxquels participent différents syndicats (d’assureurs, d’experts, d’entreprises, de bureaux de contrôle…) et dont l’objectif est de créer des méthodologies de diagnostic et d’évaluation des performances résiduelles pour le réemploi de différents produits/procédés/équipements. Les parquets par exemple font partie des premiers produits à être analysés dans ce sens.
De nouveaux métiers ont vu le jour et continuent de voir le jour, de nouvelles activités également émergent, comme des plateformes de mises en relation entre des vendeurs et des acheteurs de matériaux recyclés.
Toutes les entreprises s’y mettent, et en particulier les Majors du BTP. Au titre des nouveaux métiers qui émergent, nous pouvons citer :
– Des diagnostiqueurs ressources.
– Des sociétés de type consultants ou experts en réemploi qui accompagnent les maîtres d’ouvrage dans leurs projets d’économie circulaire.
– Des plateformes comme Cycle Up (qui bénéficie de la garantie Cycle Secure d’ALLIANZ) qui permettent de mettre en relation des vendeurs et des acheteurs de produits et matériaux.
De nouvelles fonctions voient également le jour. Chez les Majors, nous pouvons citer les directeurs de l’Innovation, de l’Ecoconception, du Développement des stratégies environnementales.
Aujourd’hui où en sommes-nous ? Quels sont les freins ?
Au-delà de l’enjeu écologique, qu’en est-il de la rentabilité du système et des enjeux de compétitivité pour les entreprises concernées ? Il faut que tous les acteurs jouent le jeu… et c’est là le point faible du dispositif. Actuellement, encore trop peu de maîtres d’ouvrage souscrivent à leur obligation d’effectuer le diagnostic déchets d’un bâtiment de plus de 1 000 m2. À l’issue de la dépose, les conditions logistiques de la collecte en vue de la revalorisation ne sont pas toujours réunies…
Beaucoup de projets ont été menés, comme le projet Démoclès, lancé en 2014 à l’initiative de Récylum, un éco-organisme à but non lucratif agréé pour promouvoir et organiser le recyclage des équipements électriques et électroniques du bâtiment, qui a permis de tester la faisabilité technique, à coût maîtrisé, du recyclage des matériaux de second œuvre. Mais, ces projets sont restés assez confidentiels pour le grand public.
Les freins au recyclage sont plutôt organisationnels et logistiques
En revanche, les freins au réemploi sont essentiellement d ‘ordre réglementaire, du fait de la difficulté d’assurer ces nouveaux travaux. Comment accorder aujourd’hui une garantie décennale à des travaux réalisés avec des matériaux « de seconde main » qui ne sont donc plus neufs et ne relèvent plus des normes ?
Le réemploi, trop souvent assimilé à de l’artisanat, doit se concentrer sur des matériaux et produits qui ne sont pas amenés à subir des contraintes structurelles ou mécaniques lourdes et être crédibilisé par des certifications. Ceci permettra d’amener progressivement les bureaux de contrôle et les assureurs à mieux soutenir les concepteurs engagés dans cette démarche.
Par ailleurs, l’impulsion des grands maîtres d’ouvrage sera décisive dès lors que des synergies entre leurs différents chantiers de déconstruction et de construction seront activées…
Qu’il s’agisse de recyclage ou de réemploi, il serait angélique de croire qu’en l’intervalle de trois ans, tous les objectifs auront été tenus, mais la dynamique générale semble bel et bien initiée. Charge à chacun désormais de s’insérer dans la boucle.
Quelques exemples de valorisation des déchets du BTP
La valorisation et le recyclage des matériaux inertes du gros œuvre est déjà opérationnel. La démolition du béton génère des tonnes de déchets qui peuvent être valorisées par concassage. Le béton concassé et non pollué peut être réutilisé en couche de forme sous dallage ou sous voirie lourde. Les gains en CO2 dus à ce réemploi peuvent être mesurés en additionnant les économies dues à la non-évacuation des volumes des déchets, concassés sur place, à la non-fabrication et non-livraison des nouveaux matériaux.
Des engagements de valorisation et de recyclage ont été pris par quatre des principaux acteurs des filières du BTP, du plâtre, du verre plat, du bois envers le Ministère de la transition écologique et solidaire.
Concernant le second œuvre, la déconstruction pour son réemploi, pour lui donner une seconde vie nécessite une organisation spécifique, la désignation d’une équipe projet, la réalisation d’un diagnostic ressources et la dépose soignée, parfois la mise en place de chantiers solidaires, offrant des emplois en insertion. Tout ceci participe à l’économie circulaire promulguée.
En conclusion
La prise de conscience de la nécessité de valoriser sous forme de matière une part importante des déchets du secteur du bâtiment et des travaux publics est une réalité.
Les premières opérations de construction en économie circulaire ont déjà été réalisées.
Tous les acteurs du BTP travaillent pour professionnaliser cette nouvelle branche, l’assurer, créer de nouveaux métiers.
L’avenir réside également dans l’Ecoconception. Les nouveaux bâtiments connaitront plusieurs cycles de vie, pourront se transformer ou s’adapter aux besoins dans le futur (proche), des bureaux devenant des logements, des logements étant créés pour être modulables…mais ceci est un autre sujet…
Catherine Belin-Ventéjol